LE FIGARO

Philippe de Ladoucette, porteur d'énergies
Par Frédéric De Monicault
Publié le 20/12/2016 à 19:12, Mis à jour le 20/12/2016 à 21:09


PORTRAIT

Le président de la Commission de régulation de l'énergie s'apprête à tirer sa révérence. Après plus d'une décennie passée au coeur d'un secteur ultrastratégique.

C'est une page qui se tourne. En février prochain, presque onze ans après avoir été nommé président de la Commission de régulation l'énergie (CRE), Philippe de Ladoucette achèvera son second mandat à la tête de l'autorité administrative indépendante. Après quarante-trois ans passés dans la sphère publique, l'intéressé basculera dans une autre vie, sur laquelle il refuse pour le moment de se confier: «Tant que les projets ne sont pas définitivement actés, c'est prématuré, et par ailleurs la CRE a suffisamment de dossiers en cours pour que je m'y consacre jusqu'au bout.»
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Seule certitude, Philippe de Ladoucette ne laissera pas filtrer une émotion particulière au moment de fermer pour la dernière fois la porte de son bureau. Au menu, questions tarifaires, développement de la concurrence, dialogue avec Bruxelles, appels d'offres pour les énergies renouvelables... Quelques enjeux parmi d'autres, tant l'énergie s'est imposée comme un secteur ultrastratégique au cours des dernières années, avec pour la CRE une grande variété d'interlocuteurs: les pouvoirs publics et les opérateurs historiques (EDF, Engie) bien sûr, mais aussi les nouveaux fournisseurs de gaz et d'électricité, les associations de consommateurs ou encore les régulateurs des autres pays.

La fin d'une époque

Quand on lui parle d'émotions, Philippe de Ladoucette s'attarde plutôt sur la fermeture de La Houve (Moselle) - la dernière mine française en exploitation -, en avril 2004. Huit ans auparavant, la présidence de Charbonnages de France (CDF) lui avait été confiée, avec la double mission de fermer une activité devenue lourdement déficitaire et de limiter la casse sur le plan social. «Ministre de l'Industrie à l'époque, Gérard Longuet a élaboré le pacte charbonnier, un accord qui a permis à l'ensemble des salariés de partir, ou de se reconvertir, dans de bonnes conditions. Ce qui n'empêche pas que l'arrêt définitif des houillères avait quelque chose de poignant, la fin d'une époque pour le pays et, ce jour-là, une grande cérémonie où chacun avait la larme à l'oeil.»

Économiste de formation, docteur en sociologie, Philippe de Ladoucette n'avait pas rejoint l'est de la France par hasard. Pendant six ans, entre 1977 et 1983, il avait dirigé une commission dédiée à la revitalisation industrielle des Ardennes. «Un poste qui m'a marqué, avec la possibilité de mesurer au plus près comment les réalités économiques peuvent avoir un effet sur la vie des populations, et qui résume bien finalement l'ensemble de ma trajectoire: un vrai attachement aux valeurs de service public, lié à la recherche de l'efficacité. Ce dernier point m'ayant souvent valu d'être taxé de libéral, voire d'ultralibéral (sourire).»
« Je conserve des interlocuteurs très proches, avec lesquels nous avons partagé le sentiment de réussir à faire bouger les choses »

Ce sont aussi ses amitiés politiques qui ont façonné cette étiquette. À deux reprises, Philippe de Ladoucette a mis ses pas dans ceux d'Alain Madelin, quand celui-ci était membre du gouvernement - ministre de l'Industrie en 1986, puis en charge du Développement économique en 1993. «Bien sûr que j'ai des fidélités, mais elles ne sont pas unilatérales. J'ai noué, et gardé de bons contacts, dans plusieurs cercles de pensée. De mes débuts à la Datar (l'ancienne délégation interministérielle à l'aménagement du territoire, véritable levier de politique industrielle, NDLR), je conserve des interlocuteurs très proches, avec lesquels nous avons partagé le sentiment de réussir à faire bouger les choses.»

À la CRE, son dirigeant ne s'est pas seulement immergé dans un domaine en pleine vague de libéralisation - «même si beaucoup reste à faire pour convaincre les consommateurs des bienfaits de la concurrence». Il a aussi directement contribué à l'édification d'un marché européen de l'énergie dont l'objectif est de fluidifier la circulation de l'électricité et du gaz d'un bout à l'autre de l'Europe.

Petit côté «British»

Des dossiers trop techniques pour être perçus par le plus grand nombre? «Pas du tout, voici quelques jours, j'ai participé à une réunion à Auxerre pour présenter à 220 élus le système de couplage des marchés d'électricité entre la France et les pays voisins afin de créer une zone d'échange unique. Non seulement il y avait un intérêt très vif de l'auditoire, mais surtout une perception très nette que l'énergie a totalement dépassé les frontières nationales et que la vision européenne est la seule recevable pour garantir un certain nombre d'éléments de sécurité d'approvisionnement.» Et d'insister sur la transparence et la pédagogie comme deux des marques de fabrique de la CRE, au service d'un véritable projet européen.

Ce goût du travail bien fait n'a jamais empêché Philippe de Ladoucette de s'en abstraire. «Toute ma vie ou presque, j'ai fait du sport, dit-il simplement, aujourd'hui, c'est le vélo, après beaucoup d'athlétisme dans ma jeunesse.» Casque sur la tête, ses destinations favorites sont la piste autour de l'hippodrome de Longchamp, les routes de l'Yonne et celles plus escarpées du Gard. Passionné de musique, le président de la CRE n'en dira pas beaucoup plus sur ses ressorts personnels. L'homme, d'un naturel réservé, possède un petit côté British dont le flegme et l'élégance sont déjà deux caractéristiques significatives. Il ne manque pas non plus d'humour, un autre trait de caractère dont il a hérité de sa mère, grande vedette de la chanson française de l'avant-guerre jusqu'aux années 1950, et qui vient tout juste de disparaître.


LES ECHOS

Portrait

Philippe de Ladoucette

Envoyé au charbon à la CRE

Par Yann Verdo
Publié le 24 avr. 2006 à 01:01 Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Quand l'ingénieur général des mines cède sa place à celui qui les a fermées... A la différence de Jean Syrota, Philippe de Ladoucette, cinquante-huit ans, son successeur à la tête de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), n'appartient pas au très influent corps des Mines, qui voit ainsi lui échapper un poste clé, pourtant guigné par plusieurs de ses membres les plus éminents. En fait de mines, ce sont surtout celles de charbon qui ont jusqu'ici retenu l'attention du nouveau gendarme de l'énergie. Nommé PDG de Charbonnages de France (CDF) début 1996, il s'est appliqué depuis à mettre en oeuvre l'arrêt progressif de l'exploitation charbonnière en France, conformément aux orientations du « pacte charbonnier ». Un chantier qu'il a conduit « comme on mène un projet d'entreprise, étape par étape », explique-t-il. Et qui s'est symboliquement achevé voici deux ans, le 23 avril 2004, lorsqu'a été extrait le dernier bloc de charbon français dans le puits de la Houve, à Creutzwald, en Moselle. « C'était à la fois un moment d'intense émotion et de grande fierté. »

« Un homme d'écoute »

Fermer des mines est une chose, le faire sans mettre les mineurs sur la paille ni les pousser dans la rue en est une autre. Bien qu'arrivé à la tête de CDF dans un climat social tendu _ les conflits apparus dans le sillage des grandes grèves de décembre 1995 avaient coûté son poste à son prédécesseur, Jacques Bouvet _, Philippe de Ladoucette, que l'on décrit généralement comme posé et conciliant, est parvenu à faire retomber la fièvre. « C'est un homme d'écoute et de dialogue », estime un de ses anciens proches collaborateurs chez CDF, qui reconnaît toutefois que l'ex-président n'était pas du genre à taper dans le dos de ses subordonnés... ni très enclin à descendre au fond des puits.

Autre point à mettre à son crédit : il sera aussi parvenu à apaiser les relations entre la direction de CDF et... l'Etat actionnaire. Nommé par la droite mais maintenu par la gauche, Philippe de Ladoucette, qui a été membre du bureau politique du Parti républicain de 1986 à 1994, est un proche d'Alain Madelin, dont il a été conseiller technique au ministère de l'Industrie lors de la première cohabitation puis directeur adjoint de cabinet au ministère des Entreprises de 1993 à 1994. C'est après cette seconde incursion dans le petit monde des cabinets ministériels qu'il a rejoint celui de l'entreprise et mis un pied dans la maison CDF, comme président des Houillères de Bassin du Centre et du Midi (HBCM), une filiale du groupe charbonnier.

Bardé de diplômes _ il est notamment docteur en sociologie et en économie et titulaire d'un troisième cycle d'urbanisme et d'aménagement du territoire _, ce fils d'un colonel et d'une artiste lyrique a fait ses classes à la Datar, où il est entré comme chargé de mission en 1974, trois ans avant de devenir commissaire à l'industrialisation des Ardennes. Bon connaisseur des questions de reconversion industrielle, passé par le secrétariat général au Tunnel sous la Manche entre ses deux expériences en cabinet, Philippe de Ladoucette n'a découvert le monde de l'énergie que chez CDF. Mais son expérience en la matière ne se limite pas pour autant au seul charbon. La cession en deux temps à l'espagnol Endesa de la SNET, ex-filiale de production d'électricité de CDF, ne fait-elle pas de lui le premier dirigeant d'entreprise à avoir réussi à privatiser une compagnie française d'électricité ?

YANN VERDO


LES ECHOS

Philippe de Ladoucette succède à Jean Syrota à la tête de la CRE

Par Pascal Pogam
Publié le 20 avr. 2006 à 01:01

C'est la fin d'un suspense qui aura tenu en haleine le petit monde de l'énergie pendant de longues semaines : depuis hier, le nom du nouveau président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est enfin connu. Par décret du président de la République, l'ex-PDG de Charbonnages de France, Philippe de Ladoucette, vient d'être nommé à la tête de la CRE pour une durée de six ans. Il succède à Jean Syrota, dont le mandat s'était achevé le 23 mars dernier. Jusqu'au bout, la nomination de cet ancien conseiller d'Alain Madelin, considéré comme un proche du président d'EDF, Pierre Gadonneix, aura soulevé quelques vagues. Alors que le Conseil des ministres de la semaine passée avait entériné la fin de son mandat à la tête de Charbonnages, préparant en quelque sorte son arrivée rue du Quatre-Septembre, des candidatures rivales ont encore bénéficié ces derniers jours de nombreux soutiens en coulisses. A commencer par celle du président du directoire de Réseau de Transport d'Electricité (RTE), André Merlin, longtemps considéré comme le concurrent le mieux placé.

A cinquante-huit ans, Philippe de Ladoucette prend les rênes du régulateur à un moment clef : au cours des prochains mois, il aura notamment à préparer l'échéance cruciale du 1er juillet 2007, qui verra les marchés électrique et gazier s'ouvrir totalement à la concurrence. Mais dans l'immédiat, il devrait surtout hériter du dossier, ô combien sensible, des tarifs gaziers. En dépit des annonces faites le mois dernier, l'augmentation moyenne de 5,8 % du prix du gaz prévue à compter du 1er avril n'est toujours pas entrée en vigueur. Sans président, la CRE avait rendu voilà trois semaines un avis négatif sur le sujet. Aux dernières nouvelles, Bercy envisagerait de saisir une seconde fois la Commission de régulation, qui siégerait désormais au grand complet. Reste à déterminer à quelle date interviendra effectivement la prochaine révision tarifaire. Reste aussi à en préciser l'ampleur. Le mois dernier, Gaz de France considérait déjà qu'une hausse de tarif de 5,8 % ne suffirait pas à couvrir l'alourdissement de ses coûts d'approvisionnement. Compte tenu de la flambée des prix des hydrocarbures, sa situation n'a fait qu'empirer. Depuis le 21 mars, date à laquelle avait été annoncée la nouvelle hausse des tarifs gaziers, le prix du brent s'est envolé de 12,5 %.